Les professionnels de santé libéraux et les éducateurs (parents, enseignants…) sont en effet en première ligne pour constater les multiples dégâts que peut générer la surconsommation d’écrans (TV, micro, mobile, tablette, jeux vidéo…) chez les enfants et les adolescents : sédentarité, surpoids, isolement et troubles multiples, posturaux, de l’attention, du comportement, de l’humeur, du langage, des apprentissages scolaires, des fonctions cognitives, de l’audition, de la vue ou encore du sommeil…
Au programme figuraient les témoignages de professionnels de santé, de parents et d’enseignants, des saynètes interprétées par les clowns Nobobo (Théâtre du Vivant) sur l’addiction aux écrans et le point de vue et les recommandations d’experts.
En introduction, le Dr Raphaël Rogez, président de la Fédération des URPS, et Véronique Guggiari, directrice adjointe des services académiques du Loiret, représentant Katia Béguin, rectrice de l’Académie Orléans-Tours, ont rappelé l’importance de l’enjeu de santé publique que représente l’abus d’écrans.
Dans la partie des débats consacrée à l’état des lieux, différents intervenants ont insisté sur la gravité des répercussions physiques et psychiques de la surconsommation d’écrans.
La présidente de l’URPS orthophonistes Centre-Val de Loire, Véronique Fauvinet, a ainsi mis l’accent sur les troubles et l’appauvrissement du langage chez des enfants de 3-4 ans trop exposés aux écrans. Le Dr Sylvie Dieu Osika, pédiatre et auteur de Les Écrans, mode d’emploi pour une utilisation raisonnée en famille (Hatier, 2018) a pour sa part rappelé que « l’enfant apprend en regardant ses parents », qu’« avec l’écran il ne fait que répéter et n’apprend rien ». L’enfant exposé précocement aux écrans se comporte « comme un perroquet ». En plus d’un déficit de langage, il souffre de troubles du comportement et du sommeil. Il risque le surpoids dû à la sédentarité et une diminution de ses capacités physiques. Dans le public, une enseignante du 1er degré a confirmé que nombre de ses élèves manquent d’attention et ont un vocabulaire limité. Une psychologue scolaire a fait le même constat et déploré que certains enfants possèdent dès 18 mois leur tablette. Le Dr Fabienne Kochert, présidente de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) et élue de l’URPS-ML, a noté, quant à elle, que les pédiatres consacrent de plus en plus de temps à traiter des troubles du neuro-développement, en partie liés à l’abus d’écrans, car « les écrans sont partout ». « Des enfants en arrivent même à se mettre dans la peau de personnages de jeux vidéo », a noté pour sa part une orthophoniste. Le problème, ont relevé la plupart des intervenants, est que les parents de tous milieux, parce qu’eux-mêmes gros usagers des écrans, « baissent les bras » face l’addiction de leurs enfants aux écrans, alors que la prévention dans ce domaine doit s’exercer très tôt et que l’interaction avec les parents est fondamentale pour le développement physique et psychique de l’enfant.
Le Dr Olivier Phan, pédopsychiatre et addictologue, auteur de Jeux vidéo, alcool, cannabis, prévenir et accompagner son adolescent (Solar, 2017), a expliqué, en sa qualité de thérapeute de jeunes addicts des jeux vidéo, que ces jeux remplissent toute l’existence de certains jeunes, qui ne vont plus en cours et dont « la vie est vide » s’ils ne jouent pas à ces jeux. De plus, « le jeu vidéo développe des compétences mais qui ne servent pas aux apprentissages ». Il faut donc apprendre à réguler l’usage des jeux vidéo dès le plus jeune âge et savoir que l’usage intensif des jeux vidéo peut aggraver la fragilité d’un adolescent.
Olivier Duris, psychologue clinicien et membre de l’Association 3-6-9-12, présidée par le Dr Serge Tisseron, auteur du guide 3-6-9-12, apprivoiser les écrans et grandir (Erès, 2017), de son côté, a posé cette question : « que cherche à fuir l’ado qui se réfugie dans les jeux vidéo ? ». « L’écran fait écran à la relation parent-enfant » et l’abus d’écran peut être révélateur d’un manque de dialogue entre l’enfant et ses parents, voire d’un état dépressif… Pierre Cauty, délégué académique au numérique, a lui aussi abordé le problème de la parentalité et du rôle que doivent jouer les parents pour apprendre à leurs enfants à « utiliser les écrans avec discernement ». L’Education nationale doit, quant à elle, approfondir la formation des enseignants et des élèves dans l’utilisation « correcte » des outils numériques.
Le Dr Phan est revenu sur la mesure d’interdiction du téléphone mobile au collège : ses effets sont positifs, les enfants réapprennent à interagir et à jouer ensemble dans la cour d’école… Pour autant, l’interdiction des jeux vidéo et des écrans sans dialogue avec l’enfant ne marche pas au sein du milieu familial : la restriction d’usage doit découler d’une « alliance » entre l’enfant et ses parents. « Il faut aider les parents à se repositionner, à reprendre leur place d’éducateur », a approuvé un représentant des caisses d’allocations familiales. « L’enfant doit sentir que le parent s’intéresse à lui », a conclu le Dr Phan.
La dernière partie du forum a été consacrée aux conseils et recommandations des experts :
Dr Olivier Phan :
• Comprendre que Le jeu vidéo sert de « béquille » à un adolescent en souffrance.
• Faire alliance avec son adolescent.
• Intervenir tôt. Ne pas hésiter à fixer des limites. Ne pas craindre d’adopter la position de parent.
• Respecter la signalétique PEGI (Pan European Game Information) qui indique l’âge à partir duquel un jeu vidéo est préconisé.
Pierre Cauty :
• Éduquer les familles et les élèves au bon usage des écrans.
• Accompagner davantage les enseignants dans l’utilisation des outils numériques.
• Apprendre à utiliser les outils numériques en vue de développer des compétences utiles et pour créer.
Olivier Duris :
Appliquer les balises 3, 6, 9, 12 du Dr Serge Tisseron :
• Avant 3 ans : jouer et parler avec l’enfant. Pas d’écran. Eteindre la télévision.
• De 3 à 6 ans : limiter le temps d’écran et le partager en famille.
• De 6 à 9 ans : fixer des règles d’usage claires. Créer avec les écrans. Expliquer Internet.
• De 9 à 12 ans : apprendre à l’enfant à se protéger et à protéger ses échanges.
• Après 12 ans : rester disponible. Fixer des horaires d’utilisation à respecter.
En outre, pas d’écran au réveil et avant l’école, durant les repas et avant de dormir.
Véronique Fauvinet :
• Faire en sorte que l’enfant soit un acteur, pas un spectateur.
• Comprendre qu’il a besoin de manipuler et de jouer pour agir sur son environnement.
• L’aider à développer son langage par le dialogue et l’interaction avec ses proches.
• Le laisser « s’ennuyer », pour le laisser développer sa créativité et lui faciliter l’accès à l’autonomie.
Dr Sylvie Dieu Osika :
Dix « clés » pour utiliser sans abus et de manière constructive les écrans :
1/ S’interroger sur ses propres habitudes. Etablir une charte familiale d’usage applicable par tous les membres de la famille.
2/ À chaque âge, fixer une durée maximale d’usage. Pas plus d’une heure par jour de 4 à 8 ans.
3/ Bannir les écrans le matin quel que soit l’âge.
4/ Renouer avec les repas familiaux traditionnels, sans écran, y compris la TV.
5/ Éviter les écrans le soir au moins une heure avant le coucher.
6/ Placer les écrans de la maison dans des endroits stratégiques: jamais d’écran dans la chambre ; ordinateurs et consoles dans une pièce commune ; pas d’enfant laissé seul avec le portable dans la salle de bain ou les toilettes.
7/ Regarder ce que regarde l’enfant. Surveiller les contenus qu’il visionne.
8/ Proposer un accompagnement constructif et enrichissant : commenter, interroger et accompagner sur les jeux, Internet et les réseaux sociaux.
9/ Éteindre les écrans après usage pour laisser la place au dialogue et à une activité physique, notamment.
10/ Adopter des solutions efficaces pour un retour au calme après usage d’un écran : parler à l’enfant, détourner son attention des écrans en faisant des sorties, en jouant, en bricolant, en cuisinant, en pratiquant une activité sportive…